Point de vue : Le numérique au service du continent Africain

C’est une évidence pour qui connaît l’Afrique et un étonnement pour qui la découvre : selon la GSM Association, le taux de croissance moyen annuel de la téléphonie mobile connaît en Afrique la progression la plus forte au monde.

Le nombre de connexions par carte SIM pour l’ensemble de l’Afrique a progressé de +344% en dix ans, tandis que le nombre de connexions dans le reste du monde progressait de 3,2 à 6,6 milliards, soit “seulement” +107%.

Pour citer Rebecca Enonchong, présidente du conseil d’administration d’Afrilab et fondatrice de l’Africa Technology Forum qui résume parfaitement la situation : “En Afrique, nous ne sommes pas mobile first, nous sommes « mobile only » !”

Des disparités évidentes

La situation n’est en effet pas la même partout. L’objectif de la transformation numérique ne doit pas être seulement d’augmenter l’usage du numérique, les infrastructures doivent suivre, ainsi que les réseaux électriques, l’alphabétisation, l’inclusion financière, l’ensemble étant encadré par une réglementation stable.

Si les individus ne sont pas tous en mesure d’utiliser les solutions numériques disponibles, il ne faut pas occulter que c’est aussi parce qu’une partie de la population africaine est encore aux prises avec des préoccupations vitales comme les conflits ou l’insécurité alimentaire : dans les régions fragilisées comme le Sahel, la Corne de l’Afrique ou la région du lac Tchad, survivre au quotidien est souvent le premier objectif, pas d’utiliser internet.

Ceci étant posé, la transformation numérique est déjà en train de changer pour le mieux le visage de l’avenir du continent africain !

Quelle meilleure occasion de dynamiser la croissance économique et l’industrialisation, de réduire la pauvreté, et d’améliorer la vie des populations ?

Stimuler l’innovation

Nous en parlions dans le précédent avis d’expert (souvenez-vous !) les technologies numériques sont aussi là pour stimuler l’innovation, la croissance économique, et surtout la création d’emplois dans de nombreux secteurs-clés de l’économie.
La transformation numérique favorise l’interconnexion des marchés africains entre eux dans l’immensité du continent en réduisant les distances, mais aussi avec le reste du monde.

Elle optimise l’innovation dans des domaines cruciaux comme la santé, l’énergie, les transports, l’agriculture, l’éducation et l’accès aux services sociaux de base pour les administrés.
Durant la pandémie, l’innovation numérique s’est traduite par la  création de plus de 400 hubs numériques répartis dans 93 villes africaines, dont plus de 130 nouveaux hubs ouverts au cours des deux dernières années. Ensemble, ils génèrent plus de 1 milliard de dollars !

Réduire les inégalités et la fracture numérique

En Afrique, comme ailleurs, avoir accès à une connexion internet sécurisée et stable est essentiel pour réduire les inégalités et ça va de soi, la fracture numérique.

C’est également une opportunité indispensable d’offrir de nouvelles perspectives à la jeunesse africaine.

Selon les dernières données publiées par le G20 dans le cadre de l’initiative #eSkills4Girls, les femmes, et les jeunes filles, en particulier celles vivant dans la pauvreté et dans les communautés rurales, sont plus susceptibles d’être victimes de la fracture numérique.

En Afrique Sub-saharienne, par exemple, seules 23 % des femmes ont accès à Internet contre 34 % des hommes.

Les solutions apportées par le numérique permettront d’atteindre les objectifs de développement et de réduire ces fractures plus rapidement grâce à des avancées par “leapfrog” digital (source cabinet BearingPoint) matérialisés par exemple via des services de paiement et de transfert d’argent par téléphone comme ceux du kényan Mpesa ou du sénégalais Wari, qui se sont développés dans des contextes de faible bancarisation, mais qui en sont de prodigieux accélérateurs.

Changer la donne : des Afriques, une Afrique

L’Afrique travaille chaque jour à construire une meilleure réalité et de meilleures perspectives en prenant en compte la nécessité de la modernité et de l’innovation.

Durant les cinq dernières années, trois grandes initiatives africaines ont préfiguré ces perspectives nouvelles :

  • la zone de libre-échange continentale africaine a annoncé vouloir créer créer un marché unique avec un PIB combiné supérieur à 3 400 milliards de dollars pour plus d’un milliard d’habitants ;
  • l’Afrique du Sud crée un nouveau Centre pour la quatrième révolution industrielle affiliée au Forum économique mondial, pour favoriser le dialogue et la coopération ;
  • le programme de croissance pour l’Afrique du Forum économique mondial qui vise à aider les entreprises à se développer et à travailler à l’international révèle que l’activité entrepreneuriale africaine est 13% supérieure à la moyenne mondiale.

Ces initiatives sont très encourageantes et pourraient littéralement changer la donne en matière de transformation numérique.

Ces dernières années, plus de 600 plateformes technologiques ont vu le jour pour aider les entreprises qui démarrent sur le continent africain.

Trois principales sont reconnues à l’international : Lagos au Nigeria, Nairobi au Kenya, et Le Cap en Afrique du Sud. Elles accueillent des milliers de jeunes entreprises, et de jeunes entrepreneurs, des couveuses, des parcs technologiques et des centres d’innovation dirigés par le secteur privé.

Et les politiques publiques dans tout ça ?

C’est là où le bât blesse ! La situation ruisselle moins lorsqu’on la considère de haut en bas. Selon un rapport du Forum économique mondial, 22 des 25 pays analysés n’avaient pas de politique publique centrée sur un écosystème pour l’innovation ou sur la transformation numérique.

Or, il est désormais très clair qu’il est essentiel d’investir dans la transformation numérique pour trouver des solutions aux problèmes socioéconomiques et faire face aux défis en matière de paix et de sécurité.

D’après une étude réalisée par l’Union internationale des télécommunications, un gain de 10 % de la pénétration du haut débit mobile engendrerait une hausse de 2,5 % du PIB par habitant en Afrique. CQFD.

A toute chose malheur est bon

Alors que tous les moyens disponibles sont déployés pour préserver les vies et les moyens de subsistance depuis le début de la pandémie, les solutions numériques contribuent à apporter des solutions rapides, flexibles et inclusives.

Grâce au Covid, il faut bien qu’il y ait une chose positive, la diffusion des technologies, de la culture numérique, et leur adoption, s’accélèrent.

La transformation numérique qui en résulte procure plus d’efficacité, plus de résilience, un meilleur accès aux marchés internationaux, une amélioration des services publics, plus de transparence et de responsabilisation, et la création de nouveaux emplois.

Il ne faut néanmoins pas occulter que la transformation numérique véhicule aussi son lot de nouvelles problématiques, entre autres le risque de disparition de certains emplois traditionnels, la nécessité de (re)penser les politiques publiques, et une attention accrue à la cybersécurité et à la confidentialité des données. C’est un moindre mal par rapport à l’accélération de la modernisation du continent et aux bienfaits qu’elle engendre.

Des territoires comme l’Afrique subsaharienne sont en train de rattraper leur retard par rapport au reste du monde sur le plan du numérique.

Là où la pénétration d’Internet se développe à grande vitesse, grâce en particulier à la connectivité mobile – comme Cabo Verde, le Ghana, le Rwanda ou les Seychelles, ces territoires prennent la tête du classement dans leur secteur d’activités.

En ce qui concerne les entreprises, celles qui s’engagent dans la transformation numérique voient leur chiffre d’affaires augmenter et elles créent davantage d’emplois, pour des postes permanents avec une qualification plus élevée. Par exemple, les entreprises africaines utilisant les emails dans le cadre de leurs activités affichent un chiffre d’affaires annuel réel 2,6 fois supérieur à celui de celles qui n’y ont pas recours. Elles emploient huit fois plus de travailleurs, avec des contrats permanents et à plein temps plutôt que des travailleurs temporaires.

Comme l’exprime avec pertinence la conseillère en négociations internationales Faten Aggad dans Jeune Afrique : “au centre d’une guerre d’influence entre Chine et Occident, l’Afrique doit faire primer ses intérêts. […] Cela suppose de trouver le juste équilibre entre l’accessibilité financière à la technologie, les critères de qualité et les règles de gouvernance d’internet. L’action et l’articulation d’une voix africaine dans le débat mondial sont encore possibles. À condition que les dirigeants comprennent l’importance de l’enjeu.”

C’est tout le défi du numérique au service de l’Afrique, d’être le garant de son développement tout en veillant à ce que les libertés individuelles, la liberté d’expression et d’entreprise restent des valeurs essentielles.

Les perspectives sont très grande dans le domaine du numérique et plus largement de la transformation digitale. Son adoption de plus en plus répandue va donc permettre à l’Afrique d’être plus concurrentielle, plus compétitive, et un poids dans l’échiquier mondial. Parions qu’en uniformisant certaines pratiques, son poids sur la scène internationale sera de plus en plus important et reconnu !

Pour aller plus loin : les chiffres et exemples cités sont issus de ces articles, études et rapports d’activités.