Enjeux et défis de la transformation digitale en Afrique francophone

Acteur de premier plan dans le secteur de la gestion électronique des documents au Maghreb et en Afrique Francophone, nous avons analysé ce marché aussi global que régional en pleine mutation. Nous vous livrons un retour d’expérience exclusif et riche d’enseignement.

De la gestion des documents aux services de contenu

Cité régulièrement dans les articles consacrés au sujet, Michael Woodbridge a lancé une bombe début 2017 en annonçant sur son blog la mort de l’ECM[1], laissant place à une nouvelle génération d’outils de gestion de l’information : les services de contenu.

Il était déjà admis que les outils de gestion documentaire avaient profondément évolué ces dernières années, depuis l’apparition de l’acronyme GEiDE dans le vocabulaire, qui visait alors au « simple » stockage des documents. Il a en effet vite été compris que le document n’était finalement qu’un prétexte : le support d’une information qui a une valeur bien définie pour l’organisation qui la détient ou l’individu qu’elle concerne. Cependant, le document restait au centre des préoccupations et l’objectif affiché consistait en la préservation à long terme par leur archivage sur des supports pérennes.

Depuis lors, la transformation digitale est devenue un objectif stratégique pour chaque organisation. L’approche traditionnelle de l’ECM (Capturer, gérer, stocker et préserver) semble avoir été remisée au second plan. Conséquence des progrès technologiques et informatiques, mais aussi de la course à la compétitivité et l’efficacité, la stratégie liée à la dématérialisation a engendré de nouveaux besoins et soulevé de nouvelles problématiques : L’information est désormais au cœur du discours et les questions relatives à son accès, à son traitement ou à son analyse sont devenues prioritaires.

En effet, l’information ne doit plus être cloisonnée à l’intérieur d’une organisation et doit être rapidement partagée entre tous les acteurs concernés. L’automatisation des processus métier est aujourd’hui systématique et, sans être généralisée à l’ensemble des sphères d’une organisation, a d’abord été déployée dans les services aux tâches répétitives et chronophages (comptabilité, service courrier, service RH, …), avant de toucher les services plus opérationnels et métiers. Enfin, l’analyse des données fournit des indicateurs précieux pour l’optimisation des activités. Quant aux tâches de dématérialisation, en particulier la reprise d’un existant documentaire, elles ont été considérablement automatisées grâce aux technologies de LAD / RAD, ou confiées à des sociétés tierces, spécialisées dans le domaine.

Fort de ce constat, éditeurs, distributeurs et intégrateurs ont repensé leur approche afin de répondre à des cas d’utilisation et installer des solutions sur-mesure plus flexibles, évolutives et surtout aux capacités d’intégration fortes avec les SI existants.

Si les marchés de la dématérialisation et de la gestion de l’information et des documents ont considérablement évolué ces dernières années, néanmoins les études se sont focalisées sur le marché global, sans regard pour les spécificités régionales. Concentrés exclusivement sur le Maghreb et l’Afrique Francophone depuis plus de 10 ans, nous souhaitons apporter un retour d’expérience inédit et tenter une analyse de ce marché régional, également en pleine mutation.

Un équipement tardif aux problématiques sensibles

Traditionnellement, la dématérialisation pénètre un marché national suivant une logique relativement standard :

  1. Les administrations et les grands comptes publics ont généralement été les premiers à initier ce type de projets, pour des questions de préservation bien sûr, mais également au regard de la notion de service public ;
  2. Les banques et établissements financiers ont rapidement suivi car ils ont compris et la nécessité de conserver une trace numérique de leur stock vertigineux d’archives et que leur métier était intimement lié au monde numérique ;
  3. Les grands groupes industriels ont ensuite cherché à s’équiper pour gagner en efficacité et donc en productivité. Ils ont contribué à donner de nouvelles directions aux logiciels car leurs besoins étaient plus étendus : statistiques, processus métiers, accès distant/mobile et surtout collaboration font partie d’une liste bien plus longue de fonctionnalités qui ont enrichi les logiciels ECM à partir des années 2000 ;
  4. Enfin, avec la multiplication des offres logicielles, les PME/PMI et sociétés de services s’orientent de plus en plus vers des solutions sur mesure, plus flexibles, afin de suivre la dynamique impulsée par les grands groupes industriels avec lesquels elles travaillent.

Au Maghreb ou en Afrique subsaharienne francophone, la logique d’équipement ne semble pas avoir suivi ce schéma directeur global, du moins le degré de pénétration de la transformation digitale n’a pas atteint toutes les couches citées, et surtout avec des disparités sous-régionales fortes.

La dématérialisation et la gestion documentaire ont d’abord émergé en premier lieu au Maroc à la fin des années 90, en particulier avec l’équipement de grands comptes publics et des caisses de sécurité sociale. De nombreux projets de dématérialisation ont alors suivi notamment en Algérie, au Bénin et en Côte d’Ivoire, principalement dans le cadre de la numérisation des états civils. Car dans ces pays chauds et humides, le sujet de la conservation des documents est particulièrement préoccupant, d’autant plus qu’un archivage physique optimal nécessite des infrastructures adaptées et des investissements très coûteux.

De grands plateaux de numérisation ont été mis en place pour se conformer aux besoins de la chaîne d’acquisition documentaire. Des agents de préparation, de numérisation, d’indexation et de contrôle ont été recrutés. De nombreux projets de LAD/RAD ont été déployés, comme à la CNRC en Algérie pour la numérisation des dossiers des entreprises ou à la CNSS du Bénin. Les projets de GED, consacrés au stockage de tous ces documents archivés afin de les rendre disponibles aux collaborateurs en interne, ont alors suivi.

Ces investissements matériel et logiciel parfois lourds ont été souvent financés par des bailleurs de fonds internationaux (Banque Mondiale, PNUD, Union Européenne…) pour en faciliter le déploiement. Les filiales régionales des grandes banques internationales ont également joué un rôle important en imposant leurs nouvelles méthodes de travail et leurs outils liés, comme les solutions ECM.

Un marché disparate

L’Afrique subsaharienne francophone est une région soumise à de nombreuses tensions économiques, politiques et culturelles et certains pays n’ont pas encore atteint la stabilité nécessaire pour se focaliser sur la transformation digitale.

Le prix constitue bien sûr la première barrière. L’automatisation complète de la chaîne d’acquisition documentaire a en effet un coût encore supérieur à celui d’un opérateur d’indexation ou de contrôle. Pouvoir dématérialiser les factures séduit, mais le coût associé est encore trop important pour convaincre les administrations ou les grandes entreprises, cibles privilégiées de ce segment.

Le marché s’appuie beaucoup sur des procédures d’appels d’offres, évidemment pour les administrations et grands comptes publics mais également pour les grandes entreprises. Suivant les pays, le taux d’infructuosité des appels d’offres peut varier du simple au triple, et les cahiers des charges sont parfois redéfinis à plusieurs reprises avant la décision finale.

Si nous nous rapportons à nos références ECM ces dix dernières années, 37% sont des administrations et des comptes publics, 17% d’industries, 13% de services et 9% d’établissements financiers. Les autres pourcents se répartissent entre les transports (9%), l’énergie (6%), les assurances (6%), le BTP (4%) et les télécoms (2%). Il s’agit d’une étude en cours, puisque nous avons actuellement équipé 15 des 20 pays de la région. Toutefois, cette statistique est à nuancer puisque si en Côte d’Ivoire, le taux d’installation dans les administrations avoisine les 70%, en Algérie ce sont principalement les entreprises privées qui sont équipées, avec un taux dépassant les 50%.

Si aujourd’hui, il existe encore peu de projets orientés Content Services sur la région, c’est parce que les organisations sont parfois confrontées à un manque d’informations autour de ce thème, mais aussi car d’autres projets sont prioritaires et les conditions d’équipement sont différentes.

Le recours au cloud est encore très marginal. Déjà, les procédures d’Appels d’Offres écartent naturellement les projets de cloud car le mode locatif est peu compatible. Parallèlement, il y’a encore 3 ans, il n’y avait pas de datacenters en Afrique francophone et les documents et données étaient donc potentiellement stockés sur d’autres continents. Auquel s’ajoute la question du taux de connectivité. Si certaines entreprises sont attirées par le cloud, les coupures internet voire de courant sont encore présentes (bien que de moins en moins fréquentes), notamment en Afrique centrale, et il devient alors difficile d’envisager un quelconque mode cloud. Seules les grandes firmes internationales

De belles perspectives d’évolution

Au cours de la décennie 2010, et plus particulièrement depuis 2013/2014, nous assistons à un réel revirement au niveau international mais aussi au niveau régional. Les projets se précisent, les problématiques s’affinent et les grandes installations « génériques » reculent significativement. Pour notre région, le dernier grand projet de cet acabit remonte à fin 2012 avec l’équipement de l’ANGT (Agence Nationale des Grands Travaux – désormais ANGTI, pour Infrastructures) du Gabon. Tous les services avaient alors été équipés en partant du service Document Control qui gère tous les flux documentaires produits et reçus.

Pour autant, les projets de dématérialisation de contenu ne se cantonnent pas à l’approche traditionnelle de l’ECM. La notion de collaboration et de partage de l’information est centrale et les fonctionnalités avancées proposées par les éditeurs permettent aux organisations d’installer les dernières générations de solutions. En effet, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne francophone sont encore globalement dans une logique d’équipement (en opposition avec un marché de renouvellement) et force est de constater que ces trois dernières années ont marqué un tournant dans l’acquisition de solutions de dématérialisation et de gestion de contenu :

  1. Les projets sont plus précis et plus pointus : Il ne s’agit plus d’équiper telle organisation ou telle entreprise mais bien de résoudre une problématique et de répondre à un besoin lié au métier ; tandis que les gestions de courriers ont le vent en poupe au niveau des administrations (qui sont généralement des projets fédérateurs car ils concernent toutes les strates de l’organisation), les entreprises privées sont maintenant préoccupées par l’optimisation de leur activité afin d’accroître la productivité. C’est ainsi que l’on retrouve des projets plus verticaux, en lien avec le métier (ex : Les assurances visent à résoudre la question de la gestion des sinistres, une entreprise pétrolière va chercher à gérer les pannes de ses stations-services, …). Ainsi, les projets aboutissent plus rapidement, la conduite au changement est facilitée car la solution mise en place n’affecte pas les méthodes de travail générales, et les perspectives d’évolution du produit sont nombreuses ;
  2. La question de l’intégration avec le SI existant devient de plus en plus récurrente. Les capacités des logiciels à s’intégrer dans un environnement déjà très fourni sont appréciées et l’intégration doit se faire en toute transparence pour l’utilisateur final. Plus généralement, l’expérience utilisateur est fondamentale pour une bonne adoption du nouvel outil ;
  3. Si les projets de dématérialisation avancée en interne ont reculé, cependant on voit apparaître de plus en plus de prestataires de numérisation qui proposent leurs services pour la numérisation, l’indexation et même l’archivage physique des documents des entreprises et des administrations.

La transformation digitale des administrations et entreprises en Afrique subsaharienne francophone et au Maghreb a commencé tardivement et correspondait initialement à la nécessité de préserver les documents des risques climatiques et de conditions d’archivage insuffisantes. Les objectifs sont désormais communs avec le marché global et nous avons pu constater que l’écart s’amenuisait. Pourtant, tous les pays de la région ne sont pas égaux face à ce constat : Il n’y a pas une Afrique digitale mais bien un ensemble de pays pour lesquels la transformation digitale est une nécessité et une réalité. La révolution récente du marché de l’ECM a eu un impact positif sur la région puisqu’elle lui permet de s’équiper avec les dernières technologies disponibles et un éventail de services optimisé.

Nous accompagnons les organisations du Maghreb et de l’Afrique francophone depuis plus de 10 ans, par le biais de notre réseau local de partenaires intégrateurs et nous comptons vous accompagner encore pour les 10 années à venir, au moins !


[1] https://blogs.gartner.com/michael-woodbridge/the-death-of-ecm-and-birth-of-content-services/