Interview : Souad Mouktadiri, la bonne conduite en toute circonstance !

Si vous êtes familier de rallye automobile, vous avez peut-être déjà entendu son nom : Souad Mouktadiri est une des rares femmes pilote de rallye, et la première Marocaine à représenter son pays dans des compétitions internationales.

Mariée et mère de deux enfants, elle est diplômée d’un master en Management qui l’a conduite dans les années 90 vers le secteur du numérique et des technologies de linformation. 

Manager des opérations, chef de projets GED, elle a travaillé pour plusieurs grands groupes, dont FinanceCom, et aujourd’hui Smile, leader européen de l’open source. Elle nous explique comment le pilotage de projet nourrit sa passion de pilote automobile, et vice-versa.

Attachez vos ceintures et… en voiture !

Bonjour Souad. Le vocabulaire se trompe rarement. Ce n’est pas un hasard si on parle de piloter un projet, et de piloter une voiture. Comment vous êtes-vous retrouvée sur cette route ?

Laquelle ? Celle de la conduite de projet ou celle de la conduite automobile ? (Rires)

Pour la conduite automobile, j’ai été touchée par le fait que le Maroc soit représenté par des étrangers lors de la plupart des compétitions de rallye. En 2012, alors que le Maroc était représenté par des Belges lors du Rallye du Maroc, je me suis promis d’engranger de l’expérience, puis de participer pour représenter mon pays.

Pour la conduite de projet, c’est plus un chemin emprunté par hasard que par volonté ou passion. J’avais un peu plus de 20 ans quand je suis devenue responsable au Maroc d’un plateau de production et de projets de délocalisation (Offshoring/outsourcing) pour des sociétés françaises. C’était l’ancêtre de la GED telle qu’on la connaît aujourd’hui. Pour faire vite, mais sans excès de vitesse, (rires) je me suis ensuite associée avec un groupe français leader dans le domaine, partenariat qui a duré à peu près 10 ans. Puis bifurcation à partir de 2008, moins d’opportunités, des évolutions dans ma vie personnelle, j’ai levé le pied, puis arrêté les moteurs. Paradoxalement, pendant que je me rangeais des voitures (je travaillais moins) j’ai commencé à consacrer plus de temps à ma passion de pilote automobile !

Et dans les rallyes, vous avez démarré comment ?

Quand je suis arrivée, c’était une passion, un plaisir qui représentait une force de détente, et ma respiration. Je travaillais dur. Les weekends, je partais découvrir le Maroc. Même si c’est mon pays, j’ai découvert le Sud Marocain d’Agadir à Assouan.

C’est à ce moment là que j’ai compris qu’il me fallait un 4×4 performant, aussi performant que mes outils de travail, pour réussir ce challenge.

J’ai acheté un 4×4 qui m’a emmenée vers le désert. J’ai fréquenté une autre population, celle de la véritable marocanité de l’accueil et du désert. Celle qui cultive encore cette simplicité que nous avons perdue dans les grandes villes.

J’ai gagné deux fois des prix dans des rallyes de régularité, cela m’a donné envie d’aller plus loin, de savoir mieux comment piloter, de me perfectionner. Comme dans le cadre de mon travail, je sais que pour se perfectionner, il faut se former.

J’ai appris. J’apprends. Je mets en application.

Comme auto…didacte ? 

Rires. Oui, aussi. Mais avoir un mari dans le soutien et les encouragements, ça aide beaucoup quand on est passionnée de pilotage de rallye ! 

Vous avez fait un bon recrutement en quelque sorte !

Oui !  Mais j’ai dû être patiente et d’abord me concentrer sur le pilotage de projet avant de me consacrer au pilotage automobile. Même si les gens étaient ravis de voir une Marocaine pilote de Rallye, j’avais des enfants et une entreprise.
J’ai attendu que mes enfants soient un peu autonomes, puis je me suis concentrée sur la préparation de la voiture. En 2016/2017, j’ai pu enfin représenter le Maroc, avec certes des moyens très modestes, mais en portant haut le drapeau marocain.

Allez-vous diversifier votre marché, pour parodier le vocabulaire de l’entreprise ?

Le rallye est un sport très coûteux, et c’est très onéreux d’avoir une voiture aux normes, mais je m’y emploie ! Avec les différents événements, dont les complications en Tunisie et en Algérie qui réorientent l’organisation de rallyes, il y a un peu plus d’une trentaine de rallyes sérieux et intéressants organisés au Maroc. (ndlr : selon l’évolution sanitaire, ces informations sont susceptibles d’être reconsidérées par les différents états).

De quoi effectivement gagner des parts de marché (rires). D’ailleurs, si vos lecteurs sont intéressés, je cherche toujours de nouveaux sponsors.

Nous vous ferons suivre les éventuelles propositions ! Et de nouveaux clients ?
Nous avons beaucoup parlé conduite automobile, qu’en est-il du parallèle avec la conduite de projet ?

Cela commence tout simplement par la capacité à gérer l’imprévu ! 

La moindre erreur de navigation, dans les deux, oblige à la conduite à vue. Je vois les obstacles de loin, mais ça peut me faire tomber. Dans les deux cas, je dois anticiper comment sortir du trou !

Ensuite, et toujours dans les deux cas, cela passe par la qualité d’écoute. Pour savoir si le moteur tourne au bon régime, il faut savoir l’écouter et tirer les bonnes conclusions de ce que l’on entend. Dans la conduite de projet, c’est la même démarche. Il faut savoir écouter le client et l’équipe en charge du projet pour savoir si tout le monde tourne au bon régime !

Vous avez un exemple pour que nous comprenions mieux ?

Bien sûr ! Prenons par exemple un cas précis : j’arrive sur les dunes, j’ai peu de visibilité, et un problème mécanique. C’est le désert, je ne suis pas mécanicienne, j’ai quelques compétences mécaniques mais pas toute la compétence d’un mécano. Je dois alors prendre une décision rapide : appeler l’assistance, ou ne pas franchir les dunes et rentrer au parc. La première option est très coûteuse, la deuxième génère de lourdes pénalités… il faut savoir faire un choix rapide, prendre une décision qui sauvera l’engagement. 

Dans la conduite de projet, c’est la même chose, il faut parfois prendre une décision rapide et immédiate avec peu de visibilité, qui causera peut-être quelques dégâts mais permettra de sauver le résultat d’ensemble.

Que ce soit lorsque je pilote un projet ou une voiture, je suis la même femme déterminée qui assume ses risques.

Un projet et un rallye s’inscrivent dans une durée déterminée avec des objectifs précis et inévitablement des obstacles à surmonter qui s’imposent sans avoir été prévus.

Autre exemple, la roue de secours, on ne roule jamais sans une roue de secours. Sur un projet, je sais anticiper et identifier où mettre une deuxième personne, au cas où, en backup.

Est-il plus compliqué d’être une femme pilote de projet ou une femme pilote de rallye ?

Les femmes en général et la femme arabe comme les autres, n’ont pas la simplicité d’être à l’un ou l’autre poste !

C’est un combat quotidien pour prouver nos compétences et notre valeur. Mais j’ai cette volonté ancrée en moi, je peux être en tailleur ou en combinaison, je reste moi. Je dirais que ce n’est pas si compliqué parce que je suis soutenue par ma famille !

Lorsque ma co-pilote, n’a pu être présente, c’est mon mari qui a pris sa place, et à son tour, il est tombé amoureux de ma passion.

Ce qui est le plus compliqué, c’est sans doute de tout mener de front, épouse, mère, pilote de projet, et pilote de rallye. 

Là encore, il faut savoir gérer les priorités, voir les feux rouges qui s’allument, savoir prendre la bonne direction, et savoir parfois s’arrêter pour recharger les batteries et refroidir le moteur pour ne pas trop qu’il s’emballe ! (Rires)

Comment voyez-vous l’avenir ? J’imagine que vous avez des projets !

Oui, et mieux, j’ai des objectifs qui se résument en deux mots : bugs et buggy !

Professionnellement, limiter les bugs au maximum ; et passionnément, préparer un buggy (Can-am), participer à de nouveaux rallyes, et obtenir des résultats. J’ai appris mon métier, je me suis perfectionnée dans ma passion. Avec l’aide de mes collaborateurs et de mes proches, je ferai tout pour atteindre mes objectifs, dont la participation au DAKAR !

Merci, Souad, pour cette belle histoire pleine de raison et de passion qui, nous l’espérons, inspirera aussi bien les femmes que les hommes à mener de front leurs rêves et leur épanouissement professionnel, pour leur propre équilibre, et pour la fierté de représenter leurs concitoyens, leur pays, et leur entreprise !